Il est 12h33, je suis encore en pyjama, les nuages gris couvrent les montagnes pour qu'elles ne prennent pas froid, je vais me couper les cheveux à la Jean Seberg et google vient de m'apprendre qu'aujourd'hui c'est le 170ème anniversaire - de naissance, pas de mort - de Tchaikovsky.
C'est un jour parfait.
(Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg dans ' A bout de souffle' )
" - Je voudrais qu'on soit Romeo et Juliet !
- Olala, c'est bien des idées de filles ça...
- Tu vois...tu disais hier soir dans la voiture que tu ne pouvais pas te passer de
moi, mais tu peux très bien ! Romeo ne pouvait pas se passer de Juliet,
mais toi, tu peux.
- Nan, je peux pas me passer de toi.
- Olala, ça c'est bien des idées de garçons.
- Souris moi
- ...
- Bon, je compte jusqu'à huit, si à huit tu n'as pas souri, je t'étrangle "
(Jean Luc Godard)
*
L'art de la procrastination.
Le matin avec les filles.
On lit la signification de nos prénoms sur internet, on regarde aussi les prénoms de nos copains.
C'était étrange, pour lui c'était exactement ça, le type brillant qui aime commander, mais pour moi, il ne restait que des méchancetés, comme quoi je serais égoïste, blasée, sauvage, en veux tu en voilà.
L'après midi avec les garçons.
Un mec raconte ce qu'il voit quand il se drogue, je ne peux pas m'empêcher de rire, parce qu'il raconte ça de manière tellement banale, là, en plein milieu du cdi, que ça n'a pas l'air vrai, que ça n'a pas l'air d'être vraiment de la vraie drogue.
Il y a lui qui voudrait essayer, il parle d'une fille qui lui a proposé de tenter, mais dans sa voix il y a de l'inquiétude qu'il camoufle mal.
L'autre mec se moque, "ah c'est sûr que si t'es un faiblard de trente-cinq kilos ça peut te tuer hein, ça dépend de tes capacités physiques".
Il acquiesce.
Là je ne dis plus rien.
Le mec continue à déballer ses histoires.
Moi je le regarde lui, je fais semblant de l'hypnotiser et je répète "non non non noooon" avec un air mystique.
ça le fait rire.
Et puis c'est l'heure alors je m'en vais.
Je m'en vais et je ne lui dis rien de plus.
Je ne lui dit pas qu'il va se tuer, qu'il peut pas faire ça, que je lui interdit de tomber aussi bas que ce mec défoncé, je ne lui dis pas que c'est pas drôle, que c'est de la merde la drogue et que oui bien sûr il le sait, mais alors, alors, pourquoi tu veux te foutre là dedans hein?
Hein pourquoi?
C'est quoi qui déconne au point que tu sois prêt à prendre de tels risques pour un quart d'heure d'euphorie?
C'est quoi qui déconne au point que tu sois prêt à vouloir être ailleurs?
De quoi tu veux t'absenter?
Allez dis moi.
Je sais bien, qu'il dira rien.
Tout comme moi je n'ai rien dit.
Je ne lui ai pas dit que merde, pense un peu à toi, tu peux pas te faire ça, c'est pour les gens qui n'ont plus aucune estime d'eux même.
Je ne lui ai pas dit que bordel, pense un peu aux autres, je fais quoi moi après hein, et puis je sais bien que ça se dit pas, et que ça fait con de le dire, et que le monde c'est pas les barbapapas, mais jsuis attachée à toi, cherche pas.
Je suis attachée à toi pour ces putains de repas qu'on a pris dans les cachots du lycée, parce qu'on se foutait tout le temps de la dame qui distribue des kiris, parce qu'on discute au fond de la classe en regardant les autres courber la tête et prendre des notes, parce qu'on rigole tellement fort qu'on ne se rend même pas compte que les profs nous engueulent.
Je suis attachée à toi parce que des fois on va voir Batman au Kebab le lundi, parce que tu n'arrêtais pas de m'encourager à sortir avec lui à chaque fois que je te parlais de Monsieur Content, parce que tu m'avais filé de la bière à la soirée de désinté.
Parce que tu m'as ramenée chez moi dans ta voiture playmobile verte, parce que la prof de philo ressemble à un playmobile, parce que le monde est playmobile, parce que tu m'as filé "stairway to heaven", parce que tu es venu à ma soirée d'anniversaire et que tu m'as offert un film des Monty Python.
Parce que j'ai rarement autant ri de ma vie que le soir où on essayait de deviner le nom de notre marraine en appuyant sur tous les boutons d'interphones.
Parce que tu me files la moitié de tes madeleines dégueulasses en cours et qu'on les mange en se cachant derrière les autres.
Parce qu'on a fait des exposés ensemble et qu'à chaque fois les profs nous mangeaient dans la main.
Parce que je m'amuse à tresser tes cheveux trop longs, et puis je te tape et je te traite de con, et toi tu dis juste "méééeuh".
Parce que je garde précieusement les feuilles qu'on se fait passer quand on est pas assis à coté, "je m'en irai dormir dans le paradigme blanc", tous tes putains de jeux de mots, et mes dessins, Marx et le facteur, et Engels qui est très jaloux parce qu'ils ne l'ont pas attendus pour prendre le gouter alors qu'il était juste allé cueillir des champignons ahah.
Parce que tu joues de la guitare comme Jimi Hendrix.
Parce que t'es encore plus dans la merde pour ton boulot que moi, parce que tu rends tes disserts avec une semaine de retard, parce que tu regardes jamais ton agenda avant minuit, parce que tu t'en fous du concours, parce que tu sais pas ce que tu veux faire de ta vie et que tu le vis bien.
Parce qu'on écrit un roman sur les profs et qu'on a déjà trois copies doubles, parce qu'on se fout de Maxence (l'abeille bzzz) et de la déléguée en permanence, parce qu'on traite Dudu d'alcoolique, parce qu'on appelle les profs par leurs prénoms.
Parce que t'es super fort en philo.
Parce qu'on cherche des messages codés dans les poèmes de DBellay, parce qu'on invente des rébus, parce que les gens nous espionnent dans le bus, parce que parce que
Parce que tu as tes faiblesses même si tu les caches bien.
Parce que tu es exactement comme moi - "faut jamais rien dire à personne" - et exactement tout ce que je ne suis pas.
Parce que tu es amoureux de ta copine, parce que je peux pas m'empêcher de trouver ça adorable, parce qu'elle est très belle, et parce que vous êtes tellement originaux que je suis jalouse, elle avec ses boucles longues et son air de poupée, et toi avec ton perfecto en cuir noir.
C'est surement tout ça que je voulais te dire, quand je t'ai dit que si tu te tues, je te tue.
* L'image prend (vraiment) tout son sens quand on connait la chanson.